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« Résilience » affichait Emmanuel Macron avec son plan éponyme pour l’économie française ; « résilience » encore s’enthousiasmait Geoffroy Roux de Bézieux au moment de saluer la « formidable résilience des entrepreneurs et de leurs salariés » lors de la Rencontre des entrepreneurs de France 2021.
Résilience : voici un mot d’ordre qui a littéralement envahi les discours, du monde corporate aux allocutions politiques.
Mais pourquoi ?
Un détour étymologique d’abord. « Résilience » vient du latin resilire, qui signifie rebondir. Originellement, il désigne « la caractéristique mécanique définissant la résistance aux chocs d’un matériau » (Larousse). De la physique, il s’étend ensuite au domaine de la psychologie. En France, c’est le psychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik qui popularise le concept dans les années 1990, pour parler de la capacité à se relever après un traumatisme (deuil, viol, maladie, inceste, guerre). Toutefois, l’écrivain tord le cou à la célèbre maxime « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » : ainsi, il estime que si les personnes continuent à vivre, elles conservent une « trace traumatique » qui les rend plus vulnérables. Ce qui ne nous tue pas, ne nous tue pas, en somme.
Limitée à des discours spécialisés, la résilience s’infiltre dans le langage commun. En cause : la multiplication des crises (économiques, sociales, sanitaires, écologiques, géopolitiques). La crise n’est plus situation d’exception, mais état permanent.
Ce graphique Google Trends, de 2017 à aujourd’hui, montre une envolée du terme résilience dans les occurrences, en mars 2020 (début de la crise du Covid) et en février 2022 (début de la guerre en Ukraine).
C’est ainsi que la résilience fait sa percée, candidate toute trouvée pour pallier l’incertitude et le flou sur la marche du monde (y compris du travail).
La résilience, surtout avec le Covid, s’affiche dès lors en première ligne des mantras d’entreprise.
On retrouve ainsi tel cabinet de conseil affirmer qu’« une gouvernance de qualité forme le socle d’entreprises résilientes et durables et renforce la confiance des marchés », des organismes lancer des formations pour « augmenter la résilience de vos équipes » ou encore promouvoir « la résilience dans une perspective de leadership ».
La résilience semble ainsi reproduire du sens, mais que dit-elle vraiment ?
D’un terme synonyme de résistance ou de survie, la résilience cesse de désigner un phénomène précis. Elle devient le nouvel horizon, la nouvelle injonction, plus douce que l’incitation à la performance.
Un paradoxe étrange : elle en vient à signifier l’inverse de son sens d’origine, la résistance. Dans le langage corporate, est résilient·e celle ou celui qui s’accommode de son sort, s’adapte sans rechigner, se dépasse pour embrasser le changement, bref celle ou celui qui se montre docile, mais pour son propre bien. Ainsi revisitée, elle est l’un des symptômes de l’Happycratie, telle que théorisée par Edgar Cabanas et Eva Illouz. La résilience dessine une nouvelle frontière entre les fort·es et les fragiles ; les cyniques et les idéalistes. La résilience ne serait-elle pas le nouveau darwinisme ?
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